Cent vingt ans se sont écoulés. Et pourtant, le souvenir se perpétue dans les vieilles familles de la vallée de l’Avière qui ont vécu la catastrophe du 27 avril 1895. A 5h15 précisément, le barrage du réservoir de Bouzey (servant à alimenter le canal de l’Est, rebaptisé depuis 2003 canal des Vosges) cédait sous la pression des millions de mètres cubes d’eau. Un véritable raz-de-marée a surpris les habitants, pour la plupart encore endormis.
Seules les deux extrémités de l’édifice, érigé en ligne droite sur une longueur de 500 m, sont restées debout. Les 7 000 000 de mètres cubes d’eau se sont engouffrés par une brèche de 250 m dans un vacarme assourdissant audible à plusieurs kilomètres à la ronde. Quinze minutes ont suffi pour vider la totalité du réservoir. La vague de près de quatre mètres de hauteur a tout balayé sur son passage. La pisciculture Claudon, placée au pied de la digue, n’a pas fait un pli. Le canal de l’Est n’a pas résisté non plus. Ses eaux se sont mêlées au torrent qui s’est dirigé tout droit vers la vallée de l’Avière.
A 7h03, les eaux boueuses ont terminé leur course folle d’une vingtaine de kilomètres dans la Moselle, à Nomexy.
Une fois la décrue amorcée, les villages meurtris ont découvert le désastre et, surtout, ont compté leurs morts. Ils s’appelaient Marie, Julie, Joseph, Arsène… Des enfants, des femmes, des hommes. En tout 87 victimes ont été dénombrées. 17 à Chaumousey, autant à Uxegney, 10 à Sanchey et Nomexy, 1 à Darnieulles, 1 à Oncourt. Frizon n’a pas été épargné par les eaux. Néanmoins, il est le seul village où aucun habitant n’a trouvé la mort. En revanche, Domèvre-sur-Avière a été le plus impacté avec 31 victimes. Une dizaine d’autres sont mortes à leur tour quelques jours plus tard, suite à la pollution des puits. Tout a été dévasté. Des ponts se sont écroulés comme des châteaux de cartes, les arbres ont été déracinés, des centaines de cadavres d’animaux gisaient ça et là. Des bateaux se sont retrouvés dans des champs. Près de cent maisons ont été emportées. Celles restées debout ont été sérieusement endommagées. Le pays tout entier s’est mobilisé pour venir en aide aux victimes de ce qu’on peut appeler un véritable cataclysme.
Les travaux de l’édifice uniquement fait de béton avaient débuté en 1878 pour se terminer en 1880. La mise en eau du réservoir s’est faite petit à petit. En 1884, alors que le niveau maximal n’est pas encore atteint, une inflexion de 34 centimètres s’est produite sur une longueur de 135 mètres accentuant des fissures d’où s’échappaient 30 000 m³ d’eau par jour. Le colmatage de ces fissures n’a rien apporté de plus. Des modifications ont aussitôt été entreprises, visant à élargir la base du barrage, passant de 12,40 m à 18,40 m.
En 1890, après une lente mise en eau, la cote maximale du réservoir a été atteinte et ainsi maintenue malgré la perception de craquements et les gerbes d’eau qui s’échappaient encore, faisant craindre le pire aux habitants des villages situés en aval. Et ce qui malheureusement était tant redouté a bien eu lieu.
A Uxegney, la maison Pierre garde toujours les stigmates de la catastrophe. Les propriétaires successifs ont tenu à préserver la façade sans jamais la rénover. Le haut du bardage de tavaillons (tuiles en bois) est resté tel quel. Les trois mètres du dessous ont disparu. Emportés par la rivière en furie, l’Avière. Celle qui a marqué et meurtri plusieurs générations.
[d'après Vosges Matin]
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